GÉRONTE, ARGANTE.
Argante
La suite d'un procès est un fâcheux martyre.
Géronte
Vu ce que je vous suis, vous n'aviez qu'à m'écrire,
Et demeurer chez vous en repos à Poitiers,
J'aurais sollicité pour vous en ces quartiers :
Le voyage est trop long, et dans l'âge où vous êtes
La santé s'intéresse aux efforts que vous faites :
Mais puisque vous voici, je veux vous faire voir
Et si j'ai des amis, et si j'ai du pouvoir.
Faites-moi la faveur cependant de m'apprendre
Quelle est et la famille, et le bien de Pyrandre.
Argante
Quel est-il, ce Pyrandre ?
Géronte
Un de vos citoyens,
Noble, à ce qu’on m’a dit, mais un peu mal en biens.
Philiste
Il n’est dans tout Poitiers bourgeois ni gentilhomme
Qui (si je m’en souviens) de la sorte se nomme.
Géronte
Vous le connaîtrez mieux peut-être à l’autre nom ;
Ce Pyrandre s’appelle autrement Armédon.
Philiste
Aussi peu l’un que l’autre.
Géronte
Et le père d’Orphise,
Cette rare beauté qu’ici mêmes on prise ?
Vous connaitrez le nom de cet objet charmant
Qui de votre Poitiers est l'unique ornement ?
Philiste
Croyez que cette Orphise, Armédon, et Pyrandre,
Sont gens dont à Poitiers on ne peut rien apprendre,
S’il vous faut sur ce point encor quelque garant…
Géronte
En faveur de mon fils vous faites l’ignorant,
Mais je ne sais que trop qu’il aime cette Orphise,
Et qu’après les douceurs d’une longue hantise,
On l’a seul dans sa chambre avec elle trouvé,
Que par son pistolet un désordre arrivé
L’a forcé sur-le-champ d’épouser cette belle,
Je sais tout ; et de plus ma bonté paternelle
M’a fait y consentir, et votre esprit discret
N’a plus d’occasion de m’en faire un secret.
Argante
Quelque envieux sans doute avec cette chimère
A voulu mettre mal le fils auprès du père,
Et l'histoire, et les noms, tout est imaginé :
Pour tomber dans ce piège il était trop bien né,
Il avait trop de sens, et trop de prévoyance,
A de si faux rapports donnez moins de croyance.
Géronte
C'est ce que toutefois j'ai peine à concevoir,
Celui dont je le tiens disais le bien savoir,
Et je tenais la chose assez indifférente,
Mais dans votre Poitiers quel bruit avait Dorante
Argante
D'homme de cœur, d'esprit, adroit et résolu,
Il a passé partout pour ce qu'il a voulu.
Tout ce qu'on le blâmait (mais c'étaient tours d'école)
C'est qu'il faisait mal sûr de croire à sa parole,
Et qu'il se fiait tant sur sa dextérité
Qu'il disait peu souvent deux mots de vérité,
Mais ceux qui le blâmaient excusaient sa jeunesse
Et comme enfin ce n'est que mauvaise finesse,
Et l'âge, et votre exemple, et vos enseignements
Lui feront bien quitter ces divertissements.
Faites qu'il s'en corrige avant que l'on le sache,
Ils pourraient à son nom imprimer quelque tache.
Adieu, je vais rêver une heure à mon procès.
Géronte
Le Ciel suivant mes vœux en règle le succès.
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